BRÈVE SYNTHÈSE SUR LA PROBLÉMATIQUE

DU MARIAGE DES PROTESTANTS

SOUS L’ANCIEN RÉGIME

par Robert POINARD, professeur de droit canonique, d’histoire de l’Eglise et d’histoire des institutions religieuses

PREMIÈRE PÉRIODE : 1598 – 1685

L’édit de Nantes

 

La première législation :

Lorsque fut promulguée la première législation royale française reconnaissant le mariage des protestants, le célèbre édit de Nantes (1598), la population huguenote était estimée à environ deux millions d’habitants dans le royaume (11 % de la population de l’époque) mais très inégalement répartis sur le territoire national. Il s’agissait pour Henri IV de combler le vide juridique posé par le refus des protestants de passer devant le curé alors que l’Église catholique était seule détentrice de l’état civil et qu’il n’était pas question de voir se créer un État dans l’État même pour un roi ex-huguenot. Devenu souverain, Henri abandonnait ses anciennes solidarités religionnaires pour se consacrer à l’unité de son royaume qui sortait de plusieurs décennies de guerres civiles.

Il fallut donc concocter une solution légale qui ne puisse ni contrarier l’Église catholique ni pousser les huguenots à la désobéissance civile. De plus, refuser le mariage catholique, c’était pour un protestant non seulement être privé d’existence légale mais aussi être considéré comme concubinaire, engendrer des enfants illégitimes, perdre ses droits patrimoniaux. La question du mariage doit donc, avant tout, être regardée comme une affaire politique (telles les guerres à tort appelées " guerres de religion " même si les querelles religieuses y servaient largement de prétexte et en fournissaient les motifs de développement).

L’édit royal consacre quatre articles à la question du mariage et de ses effets juridiques (articles 23, 34, 40, 41). Tout d’abord les protestants seront tenus de garder les lois de l’Église catholique "pour les faits de mariage contractés ou à contracter" notamment pour les empêchements de consanguinité et d’affinité mais aussi pour les règles de discipline (publication des bans, règles de majorité, témoins, registres, etc.). Les cérémonies du mariage seront comprises dans la célébration du culte public et pourront donc se tenir dans les temples prévus par l’édit avec convocation à son de cloche sans qu’on puisse les en empêcher. Cet article reconnaît donc la pleine licéïté du mariage huguenot devant un pasteur, au même titre que devant un curé.

L’article " secret " 40 autorise les huguenots a être dispensés plus largement que les catholiques des degrés de consanguinité. L’Église catholique n’accordait seulement dispense qu’à partir du 3è degré. Le roi autorise les protestants à obtenir dispense jusqu’au 2ème degré et il protège les familles ainsi constituées, notamment en garantissant la transmission de leur patrimoine qui ne leur sera point contesté : "afin qu’ils ne soient ni molestés, ni recherchés, ni la succession querellée ni débattue à leurs enfants". En effet, au regard du droit canonique, de telles unions auraient été "ipso facto" invalides et les héritiers auraient pu voir leurs droits contestés…

Un autre article "secret" le 41ème garantit des instances juridiques de recours en cas de litige pour les couples protestants ou couples mixtes qui seraient en conflit interne par la suite. Les juges royaux seront seuls compétents sauf le cas de mariage mixte où la partie catholique sera assistée par un juge de l’officialité diocésaine. C’était assurer l’impartialité du droit face aux sujets non catholiques en leur évitant de passer devant un juge ecclésiastique catholique.

On le voit, une sorte de brèche est faite dans le monopole catholique du mariage d’Ancien Régime :

Jusqu’à la révocation de l’édit en 1685, donc pendant 87 ans, c’est cette législation qui est demeurée en vigueur. Nous retrouvons, dans nos recherches généalogiques, les registres des actes religieux protestants de cette période, validement enregistrés par les pasteurs conformément à l’édit : naissances et baptêmes, mariages et décès. Il existe alors bel et bien un état civil protestant officiel, légalement reconnu et faisant foi devant la justice au même titre que l’état civil catholique.

 

Les restrictions :

Après la mort du bon roi Henri, rien de substantiel ne sera momentanément modifié. Sous le règne de son fils Louis XIII, on ne connaît que la Paix d’Alès et l’édit de Nîmes (1629) qui annulent des dispositions politiques et militaires favorables au "parti protestant" en tant que force politique (villes de sûreté, garnisons et places-fortes ne leur sont plus accordées) mais sans que l’on touche à la législation religieuse. On sait combien Richelieu premier ministre a été ferme avec le parti protestant et combien Richelieu évêque a été plutôt ouvert et tolérant, souvent en butte au parti dévot qui lui reprochait sa complaisance vis à vis des huguenots…

Toutefois, l’avènement de Louis XIV va modifier la donne : même si les protestants ont été loyalistes durant la Fronde et qu’ils pensent en tirer avantage, on ne leur saura aucunement gré de leur fidélité à la Couronne ! En effet, avec ce monarque absolutiste se manifeste très tôt une volonté politique de "réduire" le protestantisme français par éradication d’abord volontaire (1662-1675) puis autoritaire (1675-1685).

La politique de retour volontaire au catholicisme est confiée à l’ancien protestant converti PÉLISSON qui, très pragmatique, fonde la fameuse "caisse des conversions" : on va tenter de séduire les huguenots par des primes, obtention de charges, faveurs et autres avantages pour eux-mêmes et leurs enfants. Les catholiques les plus ouverts multiplient, avec les meilleures intentions, publications apologétiques, discussions, controverses, colloques, conférences, missions intérieures dans les provinces à forte densité protestante. Des pasteurs illustres se prêtent à ces débats théologiques qui laissent croire que la "réunion" est toute proche. Mais, comme les résultats ne concernent finalement que les milieux nobles ou bourgeois désireux de préserver leurs intérêts et leurs carrières, on se décidera bien vite à une politique de répression plus expéditive. Soulignons, là encore, contrairement aux idées reçues, que le roi n’y est pas poussé par le clergé (hormis quelques exceptions) mais plus par un milieu restreint à quelques conseillers de milieu catholique extrémiste et souvent pour des motifs plus politiques que religieux. Il y a toujours cette crainte de voir les protestants (malgré leur attitude neutre pendant la Fronde) constituer une masse de manœuvre : quand la France se retrouve en guerre, ils pourraient frapper le roi dans le dos en se laissant manipuler par des puissances étrangères (déjà le mythe de la 5ème colonne…).

La période de 1675 à 1685 voit en définitive se restreindre le champ d’application de l’édit de Nantes à des interprétations de plus en plus limitées et vexatoires : restrictions apportées à la célébration du culte public (interdiction de sonner les cloches par exemple), interdiction des mariages mixtes (édit de novembre 1680), démolition de temples sous divers prétextes. Tout est mis en oeuvre pour décourager le protestant dans sa vie non seulement religieuse mais civique : il est regardé au fond comme un sujet de second ordre.

 

Les mariages mixtes :

Malgré les guerres "de religion", on avait pourtant vu subsister un peu partout dans le royaume des mariages mixtes et peu nombreux d’ailleurs étaient les évêques qui avaient interdit ces unions. L’étude systématique des règlements diocésains d’Ancien Régime (les fameux "statuts synodaux") montre qu’entre la création d’une réglementation du mariage catholique et la Révolution (1563-1789) on ne trouve en France sur les 130 évêchés de l’époque que 22 diocèses pour interdire formellement le mariage mixte ; on ne rencontre dans la liste que deux grands archevêchés (Bordeaux et Aix), la plupart des autres étant de petits évêchés du sud du pays. A noter que ni Paris, ni Lyon, ni Marseille, ni Toulouse ne figurent dans la liste…

Le paradoxe est au contraire que beaucoup d’évêques voient alors dans le mariage mixte une solution pour ramener les protestants à la religion catholique. Certains souhaitent favoriser, dans une vision très intéressée, le mariage de jeunes filles protestantes avec des hommes mûrs catholiques. Jean Baptiste de Noailles (évêque de Châlons en Champagne) et Henri de Bouillon (évêque de Luçon) suggèrent au roi, au lieu de vexer les protestants, de les encourager à se marier avec des catholiques. Quitte à les y inciter par le versement d’une dot de 150 à 200 livres accordée pour tout mariage mixte…

(suite)